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Luxembourg : le paradoxe médiatique en temps de crise


La presse luxembourgeoise vit un étrange paradoxe entre des rédactions vides, des journalistes en télétravail, des audiences record et des annonces publicitaires en baisse. (Photo : Jeremy Zabatta)

Avec la crise sanitaire, la population s’est tournée, pour se tenir informer, vers les médias. Ces derniers affichent des audiences record pendant que les annonceurs publicitaires se mettent en retrait.

En regardant les audiences des sites internet luxembourgeois mesurées par le Centre d’information sur les médias (CIM), on constate que depuis le début de la crise sanitaire, les internautes ne s’intéressent plus aux sites immobiliers et gastronomiques. Ils portent en effet leur attention sur les sites d’information traditionnels comme lequotidien.lu ou tageblatt.lu, pour ne citer qu’eux.

Dans le détail, un site comme athome.lu a vu son audience diminuer de 47 %, passant d’environ 50 000 sessions à 27 000 sessions deux semaines après le deuxième cas de coronavirus au Luxembourg. Idem pour Immotop.lu, qui a chuté de 53 %. Un site comme explorator.lu, un répertoire gastronomique, a vu lui son audience s’effondrer de 63 % après les premiers cas de coronavirus dans le pays. Dernier exemple, Luxauto.lu a vu son audience baisser de 38 %. Le lien avec le confinement et la fermeture des restaurants est évident à la lecture des données en question.

Dans le même temps, les sites luxembourgeois d’information ont connu une tendance inverse. Lequotidien.lu a vu son audience (en nombre de sessions) progresser de 406 % la semaine après le deuxième cas de coronavirus au Grand-Duché. Idem pour le site de L’essentiel (+147 %), du Tageblatt (+276 %), Luxtimes.lu (+295 %), le site de Paperjam (+42 %), RTL.lu (+203 %) ou encore Wort.lu (+173 %). «Sans avoir fait un répertoire de l’ensemble des pics d’audience des médias au Luxembourg, on peut dire que ce mois de mars est un boom historique qui n’a jamais été vu jusqu’à aujourd’hui avec une telle grandeur, explique David Solito, responsable digital au sein de l’agence Vous et qui tient un blog où il agrège, par le biais d’une application qu’il a développée, les données d’audience des sites luxembourgeois établies par le CIM. Selon lui, «il y a eu par le passé des jours avec une densité de trafic importante en lien avec des événements comme les attentats de Paris ou des prises de décision importantes d’un gouvernement, des inondations, etc. Ce qui est tout à fait normal, car je pense que dans ces périodes, cela montre le rôle et la mission des médias : informer la population sur les événements.»

Data source : Cim, davidsolito.com

Data source : Cim, davidsolito.com

Data source : Cim, davidsolito.com

Data source : Cim, davidsolito.com

Le spécialiste précise : «Après il ne faut pas uniquement considérer une donnée comme le nombre de sessions. Il y a un ensemble de données à prendre en compte, comme le nombre de pages par session, le nombre de visiteurs uniques, de sessions par navigateur, etc.»

Les annonceurs en retrait

Si l’on accorde une grande importance à l’audience des médias, c’est aussi parce que les sites d’information en général sont un support important pour les annonceurs publicitaires et donc une source de recettes pour les médias, le prix de l’espace publicitaire variant selon l’audience du média, pour faire simple. En 2019, l’ensemble des investissements publicitaires bruts au Luxembourg s’est élevé à 166,6 millions d’euros, ce qui constitue une hausse de 5,18 % ou 8,2 millions d’euros par rapport aux 158,4 millions d’euros de 2018.

Le problème est que, malgré cette forte audience pourtant très recherchée par les annonceurs, ces derniers se sont désengagés à cause de la crise. Le paradoxe est total et très compréhensible. Un opérateur de voyages ne va pas financer une campagne de pub maintenant alors que son activité est à l’arrêt et que l’avenir est incertain. «Même si l’audience est au rendez-vous, une marque va s’interroger, analyse David Solito. Est-ce que cette audience est attentive à la publicité en cette période ? Est-ce qu’une marque va prendre le risque de communiquer pendant cette crise et surtout est-ce qu’elle a un contenu et un positionnement adaptés à la situation ? Il y a le risque du bad buzz, même si certaines marques talentueuses en la matière ont réussi à le faire, comme Burger King.Du côté de nos clients, nous avons pu finir quelques projets qui étaient déjà dans les tuyaux, mais une grande partie sont actuellement en attente.»

Même discours du côté d’Espace Médias, la régie publicitaire du groupe Editpress. «La première réaction des annonceurs a été de tout arrêter, par prudence, explique la directrice d’Espace Médias, Luciana Restivo. On parle tout de même, au niveau du pays, d’une perte entre 50 % et 80 % des annonces publicitaires. C’est compréhensible. Les concerts et les événements divers sont annulés, les restaurants sont fermés, les commerces, les activités beauté sont fermés. Au mieux, certains tentent une conversion en se tournant vers la livraison à domicile. Donc, les annonceurs ne peuvent pas assurer le produit, le service, l’offre qu’ils annoncent. Ensuite, les annonceurs ne veulent pas être associés avec une information négative.» Pour autant, la directrice d’Espace Médias reste optimiste et elle souhaite voir le bon côté de la situation : «Le point positif, c’est cette volonté de chercher l’information. Si les réseaux sociaux aident pour se consoler et partager, c’est vrai que l’on constate cette tendance de la recherche d’une information de qualité. On redécouvre également l’importance des métiers de l’information et je pense que certains commencent à comprendre qu’il faut payer pour avoir accès à cette information de qualité.»

Cela s’est confirmé pour certains médias à l’étranger comme en Belgique où Le Soir et L’Écho ont constaté une croissance des abonnements payants en cette période de crise sanitaire.

Un crédit d’impôts pour la relance ?

Pour tenter de limiter la casse, la régie publicitaire d’Editpress a mis en place certaines actions. «Nous avons proposé aux annonceurs des espaces publicitaires proches des pages détente par exemple, et certains ont accepté. Et nous avons aussi adapté nos tarifs pour être solidaires avec les annonceurs», assure Luciana Restivo. Espace Médias a également rejoint le programme Digital Ad Aid de Régie.lu permettant de mettre gracieusement des espaces publicitaires à la disposition des sociétés ou des entités dont les produits et les services sont indispensables à la bonne marche économique du pays et à la vie de ses résidents.

Mais la crise va laisser des traces. «Au minimum, il va manquer deux mois sur l’exercice 2020», indique Luciana Restivo. Le secteur de la communication au sens large risque d’en pâtir dans la mesure où en cas de coup dur les budgets alloués à la publicité et à la communication sont souvent redirigés vers d’autres priorités. «Ce serait une erreur, car une marque doit rester dans l’esprit des gens pour maintenir sa visibilité», affirment les divers acteurs du secteur.

Luciana Restivo va même un peu plus loin en proposant l’idée de mettre en place une aide du gouvernement envers les annonceurs, justement pour soutenir l’économie. «Cela s’est fait en Italie. L’État italien a accordé, sur la période 2020-2022, une déduction d’impôt à hauteur de 30 % pour les investissements publicitaires dans les médias. C’est une façon de dynamiser le marché, de soutenir les entreprises, mais également les médias.» Une idée également partagée récemment par Jérôme Rudoni, le fondateur de la société Adada, spécialiste de la communication et de la publicité au Luxembourg.

Jeremy Zabatta

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