Sophie Casanova, directrice adjointe de la recherche économique chez Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

Sophie Casanova, directrice adjointe de la recherche économique chez Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

La Réserve fédérale américaine a lancé différentes actions pour éviter un désastre économique aux États-Unis. Sophie Casanova, directrice adjointe de la recherche économique chez Edmond de Rothschild, juge son action plus rapide, plus ample et avec un champ d’intervention plus large qu’en 2008.

Suite à la confirmation de la diffusion à l’échelle mondiale de l’épidémie de Covid-19, le 21 février 2020, la Réserve fédérale américaine n’a pas hésité, non seulement, à ramener son taux Fed Funds à 0,25%, son plus bas niveau historique, mais aussi à reprendre ses achats d’actifs et à mettre en œuvre des facilités d’apport de liquidité.

A priori, ces mesures semblent très similaires à celles qu’elle avait mises en place suite à la crise financière de 2008. Ce n’est toutefois pas le cas: la Fed a été plus rapide, son action porte sur des montants bien plus importants, et surtout, ses champs d’intervention en termes de marchés d’actifs ont été significativement étendus.

Tout d’abord, la Fed a procédé à deux baisses successives de son taux Fed Funds lors d’intermeetings, le 3 et le 15 mars 2020, le ramenant de 1,75% à 0,25%, son plancher historique. Bien sûr, l’ampleur de la baisse du taux Fed Funds avait été plus marquée lors de la grande crise financière, puisqu’à l’amorce de celle-ci, en juin 2007 selon la chronologie de la Fed de New York, il s’établissait à 5,25%. Mais il lui avait fallu alors plus de cinq mois pour le baisser de 150 points de base, ce qu’elle a fait, cette fois-ci, en moins d’un mois. Par ailleurs, ce n’est pas l’ampleur de la baisse du taux directeur, mais son niveau absolu qui importe. Or, cela avait pris plus de 18 mois pour l’amener à 0,25% à cette époque.

La vitesse, l’ampleur et l’étendue de son intervention sont plus significatives qu’en 2008.

Sophie Casanovadirectrice adjointe de la recherche économiqueEdmond de Rothschild

De plus, la banque centrale américaine a annoncé la reprise de ses achats d’obligations gouvernementales (Treasuries) et d’obligations des agences adossées à des crédits hypothécaires (Mortgage-Backed Securities, MBS). Après avoir indiqué le 15 mars 2020 qu’elle entendait acheter respectivement 500 milliards et 200 milliards de dollars de ces titres au cours des prochains mois, elle a finalement déclaré le 23 mars qu’elle en achèterait «autant que nécessaire». Autrement dit, ses achats de Treasuries et MBS sont, de manière ex ante, illimités. Par ailleurs, elle achètera aussi pour la première fois des obligations émises par les agences adossées à des crédits immobiliers commerciaux.

Là encore la vitesse, l’ampleur et l’étendue de son intervention sont plus significatives qu’en 2008. En effet, pour mémoire, la Fed avait alors entrepris des achats d’obligations des agences et de MBS 17 mois après le déclenchement de la crise. Ces derniers avaient porté sur un montant total de 1.450 milliards de dollars. Quant aux titres Treasuries, le premier programme d’assouplissement quantitatif n’avait démarré que 21 mois après le début de la crise et portait sur un montant total de 300 milliards, «seulement». Il faut souligner, en outre, que l’efficacité de tels achats à comprimer les primes de terme pourrait, cette fois, être renforcée puisque, comme l’ont montré les travaux de recherche académique, leur impact est d’autant plus fort que la banque centrale détient déjà un portefeuille ample de ces titres, ce qui est davantage le cas en 2020.

Enfin, depuis le 17 mars, la Fed a annoncé la création ou la réactivation de plusieurs facilités lui permettant d’apporter de la liquidité aux marchés d’actifs et aux banques. Si certaines mesures avaient déjà été déployées lors de la crise financière, elles avaient mis plus de temps à être adoptées (entre 8 et 17 mois).

Depuis le 17 mars, la Fed a annoncé la création ou la réactivation de plusieurs facilités lui permettant d’apporter de la liquidité aux marchés d’actifs et aux banques.

Sophie Casanovadirectrice adjointe de la recherche économiqueEdmond de Rothschild

De plus, ces mesures portent sur un champ élargi d’actifs, la Fed acceptant notamment davantage de types de collatéraux pour ses opérations d’apport de liquidité. Surtout, elle intervient sur un plus grand nombre de marchés dont, en particulier, le marché des corporate bonds, sa Primary Market Corporate Credit Facility (PMCCF) et sa Secondary Market Corporate Credit Facility (SMCCF) lui permettant d’acheter des titres sur les marchés primaire et secondaire de la dette d’entreprises.

En outre, la Primary Dealer Credit Facility (qui apporte de la liquidité aux grandes banques), la Term Asset-Backed Securities Loan Facility (qui fournit de la liquidité pour l’achat d’ABS adossés à des crédits bancaires, permettant ainsi une titrisation des créances existantes), la baisse du taux d’escompte, le rallongement de la durée des opérations de refinancement et le relâchement des contraintes prudentielles  sont des mesures qui visent à ce que le système bancaire américain dispose de liquidités suffisamment amples pour assurer la continuité du flux de crédit bancaire vers l’économie. Ces mesures, dans leur ensemble, ont non seulement été mises en place plus rapidement qu’en 2008 et élargies, mais leur efficacité pourrait être plus forte qu’alors, compte tenu de la situation financière plus robuste du secteur bancaire.  

Bien sûr, tant la nature de la crise de 2008 que la vitesse de son impact sur les conditions financières et la liquidité de marché ont été différentes de celles de la crise sanitaire de 2020. Face au choc d’offres et de demandes simultanées aujourd’hui, l’efficacité des mesures monétaires à relancer la demande agrégée à court terme devrait être faible. Toutefois, l’inégalée réaction de la Fed en 2020 pourrait être de nature à contribuer à réduire davantage le risque de tarissement de la liquidité que lors de la grande crise financière, et ce malgré la diminution exceptionnelle des flux de trésorerie. Cela pourrait limiter le risque d’une crise de solvabilité généralisée.